Valorisation économique ou monétarisation de l’impact (ACB, SROI, évaluation socio-économique) : de quoi est-il question exactement ?

En évaluation d’impact, les trois méthodes de valorisation économique les plus connues sont l’Analyse Coûts-Bénéfices (ACB), le Retour Social Sur Investissement (Social Return On Investment en anglais, d’où l’acronyme SROI) et l’Évaluation Socio-économique (ESE). Possédant un objectif en apparence similaire – valoriser monétairement un impact social/sociétal –, les frontières entre ces trois méthodes peuvent sembler floues. À travers cet article, nous proposons de distinguer l’ACB, le SROI et l’évaluation socio-économique, notamment en reprenant les notions et terminologies présentes dans les trois guides de références suivants : le Guide de l’analyse coûts-bénéfices (Improve et Fondation Rexel, 2018[1]), le Guide du retour social sur investissement (ESSEC Business School, 2009[2]) et le Guide de l’évaluation socio-économique des investissements publics (France stratégie et Direction générale du Trésor, 2017[3]).

Pour mieux comprendre les similarités et différences de ces trois méthodes, nous aborderons les raisons poussant à la mise en œuvre d’une monétarisation, les éléments clés de chacune d’elles, et enfin les atouts et inconvénients de chacune de ces trois méthodes.

1. Pourquoi monétariser ses impacts ?

Tout porteur de projets à impact peut recourir à la valorisation économique, dans le secteur de l’économie sociale et solidaire, du public ou du privé, de l’associatif ou encore dans le cadre d’une politique publique.

Un des premiers enjeux lié à cette valorisation économique est stratégique et consiste en une action de plaidoyer à destination de financeurs publics et/ou privés afin de lever des fonds. Cela permet notamment de répondre aux difficultés de financement des projets portés par les acteurs de l’économie sociale et solidaire – dues aux baisses des subventions publiques.

Un autre enjeu auquel répond la monétarisation réside dans la démonstration de la pertinence d’une innovation sociale sur le plan économique. En effet, au-delà de prouver l’impact social effectif d’une innovation sociale auprès de ses bénéficiaires, il est intéressant d’en démontrer les économies et/ou les coûts évités que cette dernière pourrait permettre si elle était déployée à grande échelle (par exemple, s’il s’agit de déployer une innovation sociale au niveau national pour l’ensemble de la population française).

La finalité des différentes méthodes de monétarisation est donc souvent similaire mais elles présentent des différences à plusieurs niveaux. Par exemple, le choix fait de la valeur monétaire versus la valeur extra-financière, le nécessaire recours ou non à une collecte de données terrain ou encore le moment adéquat dans le déroulement des actions pour démarrer les travaux de valorisation économique, peuvent varier selon qu’il s’agisse de la méthode de l’ACB, du SROI ou de l’évaluation socio-économique.

2. Les points clés des 3 méthodes

L’Analyse Coûts-Bénéfices (ACB) 

Quand ? La méthode de l’ACB [4] peut se travailler en prévisionnel du déploiement des activités, à titre indicatif, lorsque des données déjà existantes sont suffisamment nombreuses pour élaborer des hypothèses précises. Mais pour être conclusive, elle doit être réalisée en ex-post (i.e., les impacts sont mesurés une fois qu’ils sont réellement apparus), afin de faire la démonstration par la preuve de l’efficience économique de l’action. Nous conseillons de la réaliser au terme d’une première évaluation d’impact, afin de mieux connaitre les impacts valorisables économiquement [1].

Type(s) de données/collecte ? La collecte de données de terrain fait partie intégrante de la méthode de l’ACB pour démontrer des impacts économiques. Elle se réalise via une étude entre un groupe témoin et un groupe cible (pour en savoir plus sur les méthodes en évaluation d’impact : Improve, Méthodes et outils en évaluation d’impact : parlons-en !, janvier 2023).

Qui ? L’ACB permet d’évaluer la rentabilité d’un projet pour une ou plusieurs partie(s) prenante(s) identifiée(s). Le plus souvent, il s’agit du financeur principal de l’action, qu’il soit privé ou public. L’Etat est également souvent choisi même lorsqu’il n’est pas financeur principal : l’objectif de l’ACB est alors de convaincre ce dernier de la pertinence du projet, y compris d’un point de vue économique, pour en faire un partenaire privilégié.

Type(s) de valorisation des impacts ? Les impacts mesurés lors d’une ACB peuvent être de nature économique ou avoir un double caractère social et économique. En effet, seuls les impacts se traduisant en valeur monétaire (c’est-à-dire générant des économies ou des coûts) sont pris en compte dans le calcul. Prenons l’exemple du « retour à l’emploi accéléré d’un public éloigné de l’emploi » grâce à une action. Cet impact social se traduit également économiquement. D’un côté, ce retour à l’emploi va créer des économies pour l’État, en termes d’aides sociales allouées. D’un autre côté, cette action va générer des gains, notamment en termes d’impôts sur le revenu ou de dépenses effectuées par les ménages. Ici, ces indicateurs ont une valeur économique transposable monétairement. En revanche, le « gain de confiance en soi des personnes qui ont retrouvé un emploi » n’ayant pas de valeur économique existante ne peut pas être pris en compte dans le calcul de l’ACB.

 

Le retour social sur investissement (SROI)

Quand ? Tout comme l’ACB, le SROI peut se réaliser en amont du programme, de manière prévisionnelle, en anticipant la valeur sociale créée dans le cas où les activités produiraient les résultats attendus. Il peut également se faire en aval, dans ce cas il est dit « SROI d’évaluation » et se base sur des résultats déjà constatables [2] .

Type(s) de données/collecte ? Dans les cas d’un SROI prévisionnel ou d’évaluation, le recueil de données issues de sources existantes (internes ou externes) est fortement recommandé, notamment pour limiter le budget de l’étude [2] . Néanmoins, il est également possible de collecter des données de terrain en ayant recours à des entretiens qualitatifs ou des questionnaires par exemple.

Qui ? Plus globale que l’ACB, la méthode du SROI adopte le point de vue de la société dans son ensemble. Sont donc pris en compte dans le calcul final du SROI toutes les parties prenantes impliquées ou potentiellement impactées : l’état, des particuliers, des entreprises, etc.

Type(s) de valorisation des impacts ? En plus de considérer les impacts directement monétisables comme pour l’ACB, la méthode du SROI tient compte d’impacts sociaux qu’elle traduit en valeur extra-financière – souvent dit en « valeur sociale ». Cela implique de qualifier et quantifier des impacts qui ne sont pas toujours mesurables monétairement (par exemple un gain de confiance en soi). Pour ce faire, on recourt à des proxys [5]. Reprenons ici un exemple présent dans le Guide du SROI [2] : pour une personne ayant un problème physique, le résultat attendu de l’intervention est que sa santé physique s’améliore. Un des indicateurs envisagé est « la fréquence de pratique d’une activité physique ». Cet indicateur ne possède pas de valeur monétaire directe. Le fait de lui attribuer un proxy comme le « coût de l’adhésion à un club de sport » permet donc de monétariser cet impact et de l’inclure dans le calcul du SROI.

 

L’évaluation socio-économique

Quand ? Comme l’ACB et le SROI, l’évaluation socio-économique se réalise en amont comme en aval. Réalisée en amont (« évaluation ex-ante »), elle permet d’éclairer et de répondre à des enjeux d’investissements dans le secteur public. Conduite en aval (évaluation « ex-post »), l’évaluation socio-économique permet une mise à jour des informations et un remplacement des données prévisionnelles (utilisées lors de l’évaluation ex-ante) par des données collectées[3] . Notons que dans le cadre d’un investissement public dont le financement est supérieur à 20 millions d’euros, il est obligatoire de réaliser une évaluation socio-économique [6].

Type(s) de données/collecte ? L’évaluation socio-économique utilise la méthode contrefactuelle [7], qui consiste à comparer une situation avec intervention (option d’investissement) à une situation sans intervention (option de référence) [8]. Cette comparaison ne requiert pas forcément de réaliser spécifiquement une collecte de données ex-post exhaustive et peut se baser fortement sur des données issues de la littérature existante (par exemple des articles académiques ou des évaluations randomisées dans le cadre d’une évaluation).

Qui ? Tout comme la méthode du SROI, l’évaluation socio-économique ne se cantonne pas uniquement au point de vue d’une partie prenante liée à l’investissement mais prend en considération le point de vue de la collectivité dans son ensemble [3]

Type(s) de valorisation des impacts ? L’évaluation socio-économique tient compte de divers impacts, certains donnant lieu à des flux monétaires et d’autres pas, mais ayant une valeur pour la collectivité. Aussi, lors de l’évaluation, il est possible de recourir à différents types de monétarisation. S’il s’agit d’impacts économiques, ceux-ci sont directement exprimés en valeur monétaire. Pour les autres impacts, la monétarisation se fait via des valeurs de références [8] (aussi appelées « valeurs tutélaires »). Cependant, si aucune valeur de référence n’existe, il faut procéder à une étude de monétarisation des impacts via une extrapolation des résultats d’articles académiques – s’appuyant par exemple sur une étude des « préférences » des individus [3]. A titre d’exemple, la valeur du temps est devenue une valeur tutélaire issue d’études de préférence dans lesquelles sont examinées les dispositions des individus à payer plus ou moins cher un moyen de transport donné pour voyager plus rapidement [3]. En complément, afin de présenter l’intérêt financier de l’investissement, l’évaluation socio-économique peut se coupler à la réalisation d’une ACB des impacts monétarisés.

3. Atouts et inconvénients des méthodes

L’atout majeur mais aussi le principal inconvénient de l’ACB réside dans sa rigueur. En effet, cette méthode permet de rendre compte des coûts évités et/ou des économies réalisées par les parties prenantes (liées à l’investissement) grâce à une action, en se basant exclusivement sur la démonstration par la preuve de l’efficience de l’impact du programme. De fait, seuls les impacts économiques s’exprimant en valeur monétaire font foi. Or, l’accès aux données nécessaires à cette démonstration peut s’avérer difficile.

La dimension plus globale de la méthode du SROI – dans la monétarisation des impacts sociaux ou en adoptant le point de vue de la société dans son ensemble – apparaît également comme un avantage et un inconvénient. D’un côté, la méthode se révèle plus simple que l’ACB car, dans les faits, la démonstration rigoureuse par la preuve n’est pas nécessaire. Mais, en considérant un plus large panel d’impacts notamment en utilisant les techniques de « préférences révélées » des individus, les résultats peuvent se montrer moins affinés [9]. De plus, cela suppose que tout impact social peut être monétarisé et certains porteurs de projet peuvent ne pas souhaiter cette valorisation particulière de leurs impacts sociaux.

En comparaison, la méthode de l’évaluation socio-économique se révèle également plus large que celle de l’ACB. Son atout provient de sa capacité de projection, en se référant à des recherches académiques pour prédire les impacts, particulièrement utile en étape de décision d’investissement public. A contrario, le passage à la démonstration par la preuve en aval pour observer si les prédictions en amont sont correctes peut s’avérer très complexe. En effet, comme pour la méthode du SROI, la méthode de l’évaluation socio-économique transforme en valeur monétaire tous les types d’impacts : économiques et non économiques, pour toute la société.  Il est nécessairement plus délicat d’apporter la preuve de l’efficience de chacun d’entre eux de manière rigoureuse.

Au regard de ces éléments, les grandes questions à se poser pour choisir entre ces méthodes sont les suivantes : de quel niveau de rigueur a-t-on besoin dans la démonstration des impacts pour répondre à nos enjeux ? Souhaite-t-on convaincre un financeur existant ou potentiel via la démonstration d’un impact économique dont il est le principal concerné ? Ou souhaite-t-on rendre compte de la valeur globale d’un projet en monétarisant tous les impacts pour la société qu’ils soient économiques ou sociaux ?

Le sujet de la monétarisation en évaluation d’impact est complexe et cet article ne prétend pas rendre compte de toutes les subtilités des méthodes existantes, mais simplement d’éclairer le lecteur sur les grandes lignes de ce sujet.

Depuis plusieurs années, notre cabinet privilégie la méthode de l’ACB, généralement en complément d’une évaluation d’impact social plus « classique » (sans monétarisation). En effet, en accord avec les éléments présentés dans cet article et parce que l’ACB repose sur des données de terrain, cette méthode correspond davantage aux travaux que nous menons dans le cadre de nos évaluations d’impact. Notre message reste cependant le même, celui qu’il n’existe pas de « meilleure » méthode dans le domaine de l’évaluation mais une multitude de méthodes. Aussi, il convient de choisir celle qui répond le plus à ses besoins tout en tenant compte de ses contraintes et de ses objectifs. En évaluation d’impact, il n’y a pas de méthode parfaite, si ce n’est celle qui répond le plus justement à nos enjeux et aux questions que l’on se pose.

Pour citer cet article : Improve, Valorisation économique ou monétarisation de l’impact (ACB, SROI, évaluation socio-économique) : de quoi est-il question exactement ?, octobre 2023

[1] Guide de l’analyse coûts-bénéfices (Improve et Fondation Rexel, 2018).

[2] Guide du retour social sur investissement (ESSEC Business School, 2009).

[3] Guide de l’évaluation socio-économique des investissements publics (France stratégie et Direction générale du Trésor, 2017).

[4] L’ACB (Analyse Coûts-Bénéfices) connaît une autre terminologie synonyme comme l’ACA (Analyse Coût-Avantage : tiré de la Fiche synthèse « L’analyse coût-avantage (ACA) », TIESS, 2017).

[5] « Dans le cadre du SROI, on utilise des proxys financiers pour estimer la valeur sociale des biens qui ne font pas l’objet d’un échange pour différentes parties prenantes. » tiré du Guide du retour social sur investissement (ESSEC Business School, 2009).

[6] L’article 17 de la Loi du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques oblige tout porteur de projet d’investissement financé par l’État ou par l’un de ses établissements à réaliser préalablement une évaluation socioéconomique (Secrétariat général pour l’investissement (SGPI), L’évaluation socio-économique (ESE), 2021).

[7] Pour en savoir plus sur la méthode contrefactuelle : Improve, Méthodes et outils en évaluation d’impact : parlons-en !, janvier 2023.

[8] Les principales valeurs de références sont par exemple : la valeur du temps (temps de transport domicile-travail), la valeur de la vie humaine (amélioration de la santé) ou encore la valeur environnementale (émission de CO2) (De Brux, J., Goldzahl, L. et Mével, A. (2018). L’aide et les soins à domicile : quelle création de valeur ?. CITIZING pour ADESSADOMICILE et l’OCIRP).

[9] Tiré de la Fiche synthèse « La méthode du social return on investment (SROI) », TIESS, 2017

Voir tous les articles